Comprendre la pensée numérique avec les GAFA (article de Thibaut De Jaegher, 26/11/2014)
Google a gagné la guerre des moteurs de recherche en quatre ans. Apple a créé un marché des tablettes en 80 jours. Facebook a capturé 16 % de votre journée en 10 ans. Amazon s'est imposé comme le supermarché le plus couru en ligne... On pourrait ainsi enchaîner les chiffres autour de ce que l'on appelle les GAFA, l'acronyme qui sert à désigner le vrai-faux groupe constitué de Google, Apple, Facebook et Amazon. Ces quatre champions de l'économie numérique sont tour à tour auscultés, analysés, enviés, décriés. Ils fascinent autant qu'ils révulsent mais ce qui est certain c'est qu'ils ont inventé et sont en train d'inventer une nouvelle manière de faire du "business", comme le montre extrêmement bien la remarquable étude du cabinet de conseil Faber Novel Gafanomics. Qu'y apprend-on ?
1. D'abord que les GAFA ne raisonnent pas en cible client. Pour eux, tout humain est un client potentiel. Ce qui veut dire que leur zone de chalandise contient 7 milliards de personnes. La culture ou les limites géographiques ne font pas partie de leurs logiciels. Ou plus exactement, ils ne les perçoivent pas comme des freins au développement. La seule question qu'il se pose c'est : « qui est connecté ? Qui ne l'est pas ? Et comment faire pour donner accès à Internet à ces derniers ? » Pas pour des raisons philanthropiques, juste parce que ces populations sont des clients potentiels.
2. Les GAFA ont redéfini ce qu'était un client. Dans l'ancienne économie, c'est celui qui paye. Eux ne font aucune différence entre ce dernier et celui qui ne paye pas. L'important, c'est de capter l'attention de tous. L'important, c'est de montrer au client ou plus exactement à l'utilisateur qu'il a beaucoup à gagner à utiliser avec les outils (gratuits) des GAFA : gain de temps, d'argent, de productivité, de rapidité... La question du chiffre d'affaires que cela pourrait générer ne se pose pas : elle est une conséquence du service apporté, service qui permet de réunir une communauté composée de centaines de millions d'utilisateurs.
3. Cette vision du client a des conséquences en termes d'innovation. Les GAFA sont obsédés par l'expérience ou l'usage qu'ils apportent à leurs clients. C'est cette obsession qui les pousse à investir ou pas dans telle ou telle voie. C'est cette obsession qui pousse Amazon à tester en permanence des version A et B de ses produits pour ne conserver que la plus efficace. Leur mantra ? Ils ne veulent pas simplement améliorer la vie des gens mais la changer en introduisant des ruptures d'usages. Comme le montre l'étude de Faber Novel, depuis Amazon, on se fait livrer 3 000 fois plus vite. Depuis Google, on fait ses recherches 25 fois plus vite. Depuis Apple, on s'offre de la musique 70 fois plus vite. Depuis Facebook, on communique à son réseau 25 fois plus vite. La rupture version GAFA n'a donc rien à voir avec la technologie (même s'il en faut beaucoup pour la rendre possible), mais tout avec l'expérience.
4. Les GAFA nous apprennent aussi que le produit n'est pas (plus) un business, juste une plate-forme. Google, Apple, Facebook, Amazon ne vendent pas leurs produits à prix coûtant pour le plaisir. S'ils en facilitent l'accès c'est qu'ils pensent qu'ils sont des supports d'activité. Comme le dit très bien Jeff Bezos, le patron d'Amazon, « nous ne voulons pas faire d'argent en vendant nos devices, mais quand les gens les utilisent ». Une posture intéressante qui doit donner matière à penser à l'industrie. Amazon, en adoptant cette stratégie, a déjà rentabilisé 12 fois l'investissement consenti pour lancer sa liseuse Kindle.
5. Les GAFA ont aussi hacké le management. Non contents de changer des secteurs entiers de l'ancienne économie, les GAFA sont en train de réinventer aussi les codes du management. Leur obsession étant là-aussi de mettre un maximum de gens au service du client-utilisateur et un minimum en back-office. Nées dans des environnements sous contrainte, ces entreprises ont mis au point des organisations light et un mode de travail en projet simplifié et plus efficace. Chez Amazon, les réunions "2 pizzas" sont une règle. Les lignes de management sont réduites chez Google. Le but étant de "tendre" l'ensemble de l'organisation vers le futur, vers les sujets d'avenir pour l'entreprise. La préservation de position établie ne les intéresse pas, les GAFA se veulent toujours en mouvement.